Dvořák, les couleurs dans le trio Dumky

Le trio « Dumky » en mi mineur opus 90 de Anton Dvořák.

Dvořák  est un compositeur dont la musique est particulièrement colorée et nous allons détailler dans la première Dumka, quels sont les moyens utilisés et comment mettre en avant cette coloration musicale dans l’interprétation.  Regardez la vidéo pédagogique animée par Jean-Michel Berrette sur la chaîne YouTube de MusEA complémentaire à cet article.


Le compositeur s’inspire de La dumka, chant Ukrainien mélancolique qui date du XVIème siècle pour composer ce célèbre trio. Contrairement à d’autres compositions où il respecte la forme sonate traditionnelle, dans cette partition, il va s’affranchir de la forme et faire s’enchainer les 6 dumki. Elles ont chacune une couleur particulière et c’est la raison pour laquelle il apparait légitime de prendre cette œuvre comme exemple pour aborder le thème de la couleur en musique.

 

 

 

Sandrine, Rémi et Pierre jouant le Dumky

Rémi Bonnevay, Pierre Lesaffre et Sandrine Girardot jouant le trio Dumky de Dvorzak

Comment Dvořák donne des couleurs sa musique

Les moyens à la disposition d’un compositeur pour donner une couleur à sa musique sont très nombreux.  Voyons quelques-uns de ces outils et leurs implications pour l’interprète de  la première Dumka du trio. Vous pouvez écouter les passages mentionnés ci-dessous sur la vidéo pédagogique MusEA animée par Jean-Michel Berrette sur la chaîne YouTube de MusEA.

Le choix des instruments dans certains passages en duo 

Le compositeur fait le choix dans cette première Dumka d’aborder certains thèmes avec uniquement deux instruments afin de pouvoir élargir par la suite le spectre sonore et la couleur instrumentale.

 Au début de l’œuvre Dvořák n’utilise que le violoncelle et le piano (de la mesure 1 à 11). La main gauche du piano vient soutenir harmoniquement le thème du violoncelle, alors que la main droite apporte par son rythme une certaine tension dans la tonalité mineure.  Ce choix permet au compositeur de travailler également sur l’opposition des registres avec le violoncelle qui monte en tessiture et le piano qui, lui, descend. Sur la fin, le violoncelle lui-même termine sa phrase en partant dans le grave et le violon intervient en se glissant dans la sonorité du violoncelle.

Cette entrée du violon est intéressante pour la couleur musicale, car le violoniste doit faire le choix d’un doigté pour rechercher une couleur claire ou feutrée. Il devra également décider s’il vibre dès son entrée ou uniquement sur le développement du thème.

Dans le duo violon et violoncelle des mesures 13 à 26, le violon expose le thème qui est repris par le violoncelle accompagné par le violon, ce dernier allant de plus en plus vers le grave faisant ainsi office de basse. C’est un croisement des registres avec des instruments qui se rejoignent dans la tessiture médium apportant ainsi une coloration très spécifique.

De la mesure 82 à 85, le même thème est abordé au piano accompagné par le violoncelle
La main gauche du piano peut s’apparenter à un instrument à cordes traditionnel des pays de l’Est comme la balalaïka et le violoncelle tient une note en suspens qui ouvre un paysage méditatif.  Le choix du vibrato ou d’une note plus neutre devra être fait par l’instrumentiste.

Puis, entrée du violon et développement de la thématique jusqu’à la mesure 95 où le violon garde la conduite du thème dans l’aigu alors que le piano descend dans la tessiture. Le violoncelle garde la note tenue en suspens, mais change de tessiture et réchauffe progressivement avec le vibrato pour terminer par une tenue comme au début.

Ce même thème est abordé plus loin, mais les rôles sont inversés et il densifie le propos en rajoutant le violon. C’est maintenant le piano qui prend le thème joué précédemment au violoncelle et les cordes interprètent ce que jouait la main droite du piano. Par le choix instrumental de ce passage, le compositeur transforme la couleur musicale.

En passant d’une tonalité mineure à une tonalité majeure, le compositeur donne de la clarté

À partir de la mesure 35 le compositeur transpose le même thème qu’au début dans une tonalité majeure.  Le propos se libère avec un tempo plus rapide et une tonalité qui est plus lumineuse. C’est le violoncelle qui propose ce thème accompagné par un rythme bondissant du piano et du violon. Le même passage est repris plus loin, mais avec des répartitions différentes le violon prenant le thème accompagné cette fois-ci par le piano et le violoncelle.

Cette variation de couleur est accentuée par les oppositions rythmiques et par le maniement du passage de transition

Au milieu de cette première Dumka, il regroupe les trois instruments sur un mi commun sans que l’on puisse savoir si nous sommes en majeur ou en mineur.

 Le compositeur garde ensuite l’intensité et réussit à colorer sa musique dans la tonalité mineure (si mineur) pour la rendre plus dramatique.  Dvorak travaille également sur les oppositions rythmiques
Il utilisera le même procédé à la fin, mais cette fois-ci pour conclure en mi majeur.

Transition d’ambiance générée par des effets de quarte augmentée
Le compositeur travaille sur l’harmonie avec des quartes augmentées (triton) qui apportent de la tension  (si mi# aux cordes et la ré# ( accord qui fonctionne comme une quinte diminuée également) au piano. Les cordes passent ensuite de la quarte augmentée à une quinte juste, le piano jouant également ces mêmes intervalles à la main gauche, mais restant avec une quarte augmentée à la main droite.

La répétition des cellules doit questionner jusqu’au moment où les cordes passent d’une quinte juste à une quinte augmentée qui suspend et va se résoudre la mesure suivante sur le thème en majeur.

En résumé

Nous voyons que  Dvořák utilise plusieurs outils :  la tonalité : soit en majeur (couleur claire) soit en mineur (couleur sombre ombragée), l’harmonie des accords, les nuances : du PP au FF, le registre des instruments du grave à l’aigu.  Il se sert aussi des oppositions rythmiques: thématique en notes longues (intensité) en opposition à Thématique rythmique rapide (impatience)

Pour aider à faire des choix d’interprétation

Par l’analyse de l’oeuvre, on peut mieux comprendre la logique de l’écriture musicale et de sa structure. Cela permet de faire un travail sur l’harmonie afin de caractériser notamment la couleur en faisant ressortir les tensions musicales ou les passages plus apaisés.  Le choix des doigtés pour les instruments à cordes est également très important afin de mieux caractériser certains passages et ainsi apporter des couleurs spécifiques. La compréhension de la rythmique interne de l’œuvre vient apporter un support important au thème et une prise de conscience de sa coloration musicale.

Concrètement, le musicien est confronté à de nombreux choix :

  • Le choix des doigtés pour les cordes suivant les passages avec par exemple :
    les doigtés sur des positions hautes pour un son plus feutré ou sur des positions basses pour un son plus clair.
  • Le choix de notes harmoniques ou notes appuyées.
  • Choix de la pédale pour les pianistes selon les passages
  • Choix de vibrer ou pas certaines des notes ou des passages pour les cordes.

Texte de Jean-Michel Berrette

Regardez la vidéo-pédagogique sur les Couleurs en Musique de Chambre à paraître en janvier sur notre chaîne YouTube.

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